Une promesse doit-elle être tenue envers et contre tout ?
- benoitsaillau
- 19 juin
- 3 min de lecture
Dans le film « Amour »[1], l’héroïne, devenue handicapée, fait promettre sans discussion à son mari qu’il ne permettra plus, jamais, qu’elle soit hospitalisée. S’ensuit une longue descente dans la solitude et l’isolement, jusqu’à se couper de leur propre fille, par peur qu’elle ne les contraigne à appeler le médecin et qu’une hospitalisation s’en suive.

La promesse est vieille comme le monde, et les complexités qu’elle engendre aussi. Elle peut avoir été prononcée par nous-même, par la personne concernée, ou par une personne tierce : occupe-toi de lui, d’elle, promets-le-moi !....
Elle part généralement d’un bon sentiment quand nous la formulons ou l’acceptons à la demande de l’autre. Dans de nombreux cas, elle se solde positivement, par exemple quand il s’agit de partager un moment agréable ou une récompense quand un travail sera fini. Mais il arrive souvent aussi qu’elle devienne un véritable poison dont nous avons bien du mal à trouver l’antidote.
Une promesse engage toujours l’avenir. Avenir qu’elle hypothèque et voudrait prédéterminer. Or, qui peut prétendre avoir un pouvoir sur le futur ? Dans sa sagesse, Arnaud Desjardins conseillait bien souvent de « laisser l’avenir libre » ! Et le romancier André Maurois écrivait en 1938 : « Il est injuste et absurde de rendre les êtres comptables de leurs promesses. »
En effet, quel rapport réel peut-il y avoir entre une promesse faite hier et la situation réelle vécue dans le présent ? Aucun. La sagesse populaire nous dit qu’à chaque jour suffit sa peine. L’on pourrait ajouter : « A chaque jour sa juste solution ». En effet, comment connaître aujourd’hui ce qui sera approprié demain ? La vie est mouvement et changement permanent. Elle est évolution et transformation. Comment la figer par une promesse qui engage un avenir inconnu et ne permet plus une adaptation à la nouveauté constante du réel présent ?
Il est fréquent que des promesses soient faites lors d'accompagnements de situations de fragilité, handicap, grand âge, maladie, approche de fin de vie. Les personnes qui sentent leurs derniers jours venir ont besoin d'être rassurées. Elles nous disent leur peur de souffrir et de la solitude face au moment ultime. Elles souhaitent être accompagnées jusqu'au bout. Mais dans les faits, 70 à 80 % des personnes meurent justement au moment où elles sont seules, même lorsque quelqu'un les veille en permanence. La mort survient dans ce petit laps de temps où l'accompagnant si fidèle s'est absenté. Quelle culpabilité pour ce dernier ! J'avais promis de ne pas le laisser partir seul(e) ! L'expérience montre qu'il y a deux points importants : savoir que je serai accompagné, puis pouvoir partir seul de ce monde. La mort n'est-elle pas par définition un moment que personne ne peut vivre à notre place ? Nous voyons là l'évolution qui fait fi de la promesse pourtant tant demandée ! Promets-moi que tu ne me laisseras pas seul(e)! Est-il si juste alors de se sentir coupable d'avoir abandonné quelqu'un qui finalement avait besoin de solitude au moment ultime ?
Certaines promesses sont d’autant plus engageantes qu’elles sont faites à une personne décédée depuis. Comment s’en dégager sans se sentir parjure ? La culpabilité est alors souvent immense. Même quand tout nous montre que cette promesse est intenable dans le réel présent. Nous pratiquons alors le grand écart, et en payons les conséquences au plus profond de nous-même. Une promesse insoutenable peut être très destructrice. Nous l’apprenons à nos dépends.
Il arrive fréquemment que nous nous promettions à nous-même, ou que nous promettions à un proche, de ne jamais permettre que telle ou telle personne se retrouve en institution. C’est une promesse louable et qui montre l’étendue de notre amour et de notre altruisme. Mais jusqu'où est-elle tenable ? A quels sacrifices ou extrémités risque-t-elle de nous mener ? Les promesses les plus impactantes sont parfois celles qui ne sont même pas nommées. Implicites, elles nous lient profondément sans même que des mots aient été prononcés !
Nous voyons qu'une promesse ne peut nous engager que dans un moment et une situation donnée. Elle ne peut hypothéquer l'avenir. Elle ne peut le figer, au risque de souffrances et de culpabilité tant pour la personne bénéficiaire de la promesse que pour celle qui a promis.
Toute promesse devrait alors inclure la possibilité de changement, d'évolution, de transformation. Elle doit inclure une notion d'adaptation dans le respect mutuel :
Je te promets de veiller à ce que ce soit toujours le mieux pour toi et pour moi et te promets que j'aurai toujours le souci de toi.
Benoît Saillau
Extrait de « J’aide mon proche – Être aidant, Donner sans se perdre ». Benoît Saillau.
Ed. Chronique Sociale. Parution été 2025
[1] Amour est un film réalisé par Michael Haneke avec Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva. 2012.



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